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Le remembrement de Roscanvel a fait disparaître beaucoup de chemins creux, qui reliaient autrefois les différents villages entre eux. Il en reste cependant quelques uns, notamment ceux, qui ont été récupérés pour réaliser des circuits de randonnée. C’est le cas du chemin, qui permet d’aller de Menezarvel à Keraguennec. Il traverse le ruisseau de la Fraternité. Ce ruisseau, qui est à sec l’été, prend le nom de Ragadal dans sa partie centrale très resserrée mais sa source est appelée len ar quimperou et la grève où il rejoint la mer est dénommée pors ar quimperou). Le franchissement du ruisseau se fait par un pont de pierre, qui a été récemment modifié pour des raisons de sécurité.
Ce chemin était pour nous un passage obligé dans l’étape de retour vers Trégoudan après d’une de ces promenades vers le site de la Fraternité et celui des Capucns, du moins si le temps (durée et état du ciel) l’autorisait. Nous faisions alors le grand tour pour rentrer par Keraguennec.
Vers l’ouest le chemin est assez large et monte avec une pente régulière pour rejoindre le chemin, qui va de Kerraguennec à Mencaer. Par contre vers l’est il est très étroit et surtout très pentu. Il débouche sur une route, qui été créée lors du remembrement. Il y a au milieu un pont en pierre très sommaire qui a tendance à changer parfois d’un été sur l’autre.
L’été le ruisseau est souvent à sec.
La couleur des pierres traduit bien la présence de fer.
Puis, un jour, un autre chemin a été dégagé ; il partait du pont de pierre et longeait le ruisseau, en direction de la Fraternité et de la RD355. A mi-chemin est alors apparu un ancien moulin.
Mais il y avait tant de broussailles, qu’il était impossible d’aller plus loin , même en marchant à 4 pattes. Il y avait aussi beaucoup d’orties.
Puis l’année suivante le moulin a été dégagé.
Il y avait encore la meule.
La propriétaire a raconté d’ailleurs à Grand-Mère, qu’elle connaissait celui, qui avait récupéré la porte d’entrée du moulin. C’était dans les années 60, quand la mode des maisons néo-bretonnes était à son apogée. Les amateurs éclairés allaient dans les villages récupérer les pierres sculptées des habitations en ruines et qui étaient apparemment abandonnées.
Après la RD355 le chemin devient plus large et il est désormais bien entretenu par l’AVPR; il permet d’atteindre une fontaine (feunteun ar quimperou d’après le cadastre de 1830).
Le pourtour de la fontaine a toujours été parfaitement dégagé, comme si quelqu’un l’entretenait régulièrement avant l’arrivée de l’AVPR.
Le chemin semblait continuer vers le four à chaux de la Fraternité, mais son accès, là encore, était rendu très difficile en raison des broussailles, qui l’encombraient. Il a fallu rebrousser chemin. Pourtant, par endroits, la roche semblait avoir été taillée, trace d’un autre parcours
A l’occasion des journées du patrimoine 2016 j’ai en parlé aux membres de l’AVPR, qui ont entrepris de nettoyer ce chemin.
Le schéma de l’AVPR
En fait c’est tout un réseau, qui a été mis en évidence. Le détail de leurs découvertes figure sur leur compte Facebook avec notamment le schéma ci-dessous
On distingue sur ce schéma un second moulin plus une construction en ruines, qui est plus difficile à caractériser, mais qui pourrait correspond à l’emplacement de l’ancien moulin du diable.
Selon Didier Cadiou il y en avait même 6 en tout.
Il en a été question dans un numéro d’AVEL KORNOG
Le cadastre napoléonien
Curieusement le cadastre napoléonien, pourtant en général très détaillé, ne mentionne pas les moulins, ni aucune autre construction le long du ruisseau.
Il y a seulement la fontaine. Tout le versant « ouest » du ruisseau est constitué d’une seule parcelle (N° 1367), alors, que le versant « est » est découpé en lanières. Le chemin d’accès à la fontaine est récent, puisqu’il coupe plusieurs parcelles.
La parcelle 1367 était encore propriété des habitants de Kerraguennec en 1830. Le ruisseau formait donc la limite avec Menezarvel et Lodoën.
En arrivant sur la Fraternité il n’y a rien non plus au niveau du 3ème moulin. Par contre le chemin est bien visible. Il est vraisemblable, que le chemin et la fontaine datent de la construction du fort de la Fraternité.
Pourtant, quand on consulte l’état des sections, récemment mis en ligne par les Archives Départementales, on retrouve la trace des moulins dans la toponymie locale.
A l’ouest il y a les terres dépendant du village de Kerraguennec (en jaune); en vert au nord est ce sont les terres dépendant du village de Menezarvel (écrit menez ar veil dans l’état des sections) et au sud est celles de Lodoën (en bleu)
Au niveau du pont de pierre il y a bien mention du ruisseau avec « heuch ragadal ». Puis on va trouver Pen tal ar veil de part et d’autre du ruisseau; il y avait bien un moulin (ou plusieurs) avant la route RD355. Mais côté Kerraguennec il y a aussi Talar an Dour, qui fait réference à l’eau, donc au ruisseau; par contre Run Gouspiri est le nom de la colline au dessus et Pen tal ar veil ne concerne alors, que des parcelles situées dans la boucle formée par la RD355
les parcelles situées de l’autre côté du ruisseau sont sur Lodoën et prennent le nom de Goarem puis Cost Quemener. Le marais tout en bas porte naturellement le nom de « ar Palud ». Il s’agit d’un marais formé derrière un cordon littoral; le marais, qui peut se former en amont porte lui le nom de « Yeun ».
La pièce de terre située au dessus du marais porte le nom de Foennec Quimpirou. On retrouve alors l’autre nom du ruisseau; l’anse porte d’ailleurs le nom de « porz ar quimpirou » avec toutes les variantes, que l’on peut imaginer.
Il n’est pas interdit de penser, que le terme « Gouspiri » soit également une déformation de Quimpirou avec une mutation de Q (K) en G..
Pour mémoire, dans tous les documents de cette période le village de Menezarvel s’écrit menez ar veil, ce qui fait penser immédiatement à un moulin, sans, que l’on sache, s’il s’agit du moulin à eau ou d’un moulin à vent.
Ce qui s’appelle Queméner semble correspondre à la partie ouest de Menez Lodoën. Il y avait d’ailleurs une famille Queméneur dans le coin.
Rappel sur le fonctionnement d’un moulin
Il faut :
Une réserve d’eau suffisante tout au long de l’année, généralement constituée derrière un barrage
Un canal de dérivation à faible pente
Un déversoir pour évacuer l’eau en trop (valable surtout lors des pluies d’automne)
Une chute suffisante pour faire tourner la roue à aube
Une roue à aube (réalisée en bois, elle ne résiste pas à l’épreuve du temps)
Un canal pour l’évacuation de l’eau
Un engrenage (en bois également)
Une meule en pierre à axe vertical (en fait deux meules, généralement formées de plusieurs pièces assemblées à l’aide d’un cercle de fer)
Une tuyauterie pour évacuer le blé moulu (aussi en bois le plus souvent)
Des sacs pour récupérer la farine
Comparaison avec les moulins de Maurienne
Dans les Alpes, près de Saint Jean de Maurienne, il y a un torrent sur lequel ont été construits plusieurs moulins. Il y a de l’eau toute l’année dans le torrent, donc pas besoin d’avoir de réserve. Le canal d’amenée est très court car il y a déjà une forte pente. L’un de ces moulins est encore en activité. Il a plusieurs meules et occupe 3 personnes (un peu moins en réalité). Il est utilisé pour broyer finement du sulfate de calcium utilisé comme excipient par l’industrie pharmaceutique. Le propriétaire recreuse personnellement les sillons de ses meules toutes les semaines. Les tuyauteries sont en bois pour une large part.
Nota : ce moulin fonctionnait ainsi il y a 20 ans. Il est peut-être arrêté au jourd’hui faute de main d’oeuvre; pourtant les ouvriers étaient logés gratuitement et « dispensés » de travail quand le propriétaire était en déplacement pour visiter des clients ou plus simplement allait dans la carrière voisine choisir les blocs de roche qu’il voulait broyer.
A l’inverse le ruisseau de la Fraternité est à sec l’été ; il faut donc disposer d’une retenue d’eau importante avant chaque moulin. La pente est faible, ce qui implique un canal d’amenée très long pour créer la hauteur de chute nécessaire au fonctionnement du moulin. L’eau doit impérativement retourner au ruisseau pour alimenter le barrage suivant.
Ragadal ou Quimpirou?
Le ruisseau de la Fraternité, qui est à sec une bonne partie de l’année, bénéficie de deux appellations :Quimpirou et Ragadal.
Il prend sa source (ou ses sources plutôt) au nord de la presqu’île à proximité du village de Kermorvan. En effet une partie de la zone porte le nom de len ar Quimperou. Je n’ai pas vérifié quelle est la dénomination quand le ruisseau passe entre Mencaer et le Disloup. Au niveau de Menezarvel c’est Raguedal puis Foennec Quimpirou et enfin Porz ar Quimpirou.
Pourquoi le nom de Ragadal pour la partie centrale? Est-ce simplement une appellation différente donnée par les habitants des villages traversés? Pour mémoire Jean Laé a vendu à sa fille Thérèse la moitié d’un champ appelé Parc ar Stang, où elle a construit la Maison Rose, mais elle n’a jamais parlé de Parc ar Stang. Pour elle c’était Parc an Aod.
On doit pouvoir trouver des situations analogues dans les villages voisins. Le pré commun qui coupe en deux le village de Trégoudan portait autrefois le nom de « prat » mais aujourd’hui j’entend parler de « Dalar », alors que « dalar Tregoudan » était une parcelle située près du croisement de la route de Trégoudan avec la rue des remparts.
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