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La presqu’île de Crozon a été le théâtre de plusieurs épisodes guerriers, qui ont laissé des traces sur le terrain ou dans les textes, qui ont été publiés. Plus on remonte dans le temps et plus les éléments disponibles sont rares ou peu fiables. Il ne reste de la guerre de 100 ans, qu’un nom : LamSaoz, qui désigne un promontoire à Camaret. Le fort, que les anglais avaient construit face à Brest vers 1387, a disparu.

Du fort du  Léon, construit également face à Brest par les Espagnols , il reste deux esquisses, des textes contemporains (il y a apparemment beaucoup de documents chez les anglais) et un nom : la pointe des Espagnols.

La bataille de Camaret du 18 juin 1694 a laissé plus de traces, surtout dans les écrits. La légende s’est emparée de l’affaire en lui tordant parfois le nez. Cela ne devait être au départ, qu’une manœuvre de diversion, un vrai coup de bluff. Sur le terrain l’érosion marine poursuit son œuvre inlassablement et les rares témoins disparaissent peu à peu, notamment la plateforme.

Le classement de la Tour Vauban par l’Unesco a changé la donne. On parle maintenant de mise en  perspective, mettant au second plan le déroulement des opérations.

 Deux questions, une seule bonne réponse

Où est située la mort anglaise et où sont enterrés les soldats anglo-hollandais morts lors de la bataille de Camaret le 18 juin 1694 ?

Didier Cadiou m’a posé ces deux questions lors de l’une des premières journées du patrimoine.

N’y connaissant rien, j’ai répondu  pour la première :

 le rocher, qui est au milieu de la plage

 et pour la seconde :

 dans le marais, qui se trouve en retrait des dunes, à condition de pouvoir parler de dunes.

 En fait ce n’est pas si simple.

La mort anglaise

 Pourquoi cette question ?

 Cette question trouve son origine dans la publication par l’IGN d’une carte, où la Mort anglaise est mentionnée au milieu de la plage.

 De son côté Google Maps situe la Mort Anglaise sur le flanc ouest de la pointe Ste Barbe.

 Il y a peu de textes contemporains et ils n’en parlent pas (du moins ceux qui sont accessibles sur internet). Il faut se raccrocher à des documents plus récents.

 Les croquis et cartes

 Le croquis de Vauban dressé après la bataille ne donne pas de noms de lieux.

La carte de Tindal de 1744 signale seulement par la lettre B les rochers, qui correspondent à la pointe Ste Barbe, et sur lesquels 7 bateaux se sont perdus.

C’est seulement sur la carte dressée à la demande du Marquis de Paulmy en 1754 qu’apparaît le nom de la pointe Ste Barbe.

Le plan des « retranchemens de « Quellerne » dressé en 1782 pourtant plus précis ne dit rien. L’anse de Trémet est devenu l’anse du Pouldu.

Par contre on trouve chez Macaulay dans son récit sur le règne de Guillaume III (qui a été aussi publié en français en 1857) :

 The battery from which Talmash received his wound is called, to this day, the Englishman’s Death”.

Le cadastre

 Une vérification du cadastre de 1830 le confirme. En effet sur l’état de la section 3 de Rigonou la parcelle n°1 porte le nom de « la mort anglaise », nom qui est aussi donné à la parcelle 17, sur laquelle a été construit un corps de garde.

Par contre aucune des parcelles voisines ne fait référence à la pointe Ste Barbe. Serait-ce alors une appellation récente, liée à la bataille de 1694, pour rappeler la présence de la batterie ? De même, aucune parcelle ne parle de « beg berenneg », nom, qui figure aujourd’hui sur les panneaux indicateurs bilingues. D’où vient cette appellation?

En fait toutes les autres parcelles voisines portent le nom de « ar menez ». A Roscanvel les terres vaines situées en bordure de côte sont souvent désignées sous l’appellation « ménez », même quand elles sont à peu près horizontales comme vers Kerviniou ou Kerguinou. Est-ce valable ici aussi ?

 Il n’y a pas d’autre parcelle appelée « la mort anglaise» le long de la côte. Aucune non plus n’est appelée « maro ar saozon », alors que toutes les parcelles alentour portent presque toutes des noms en breton.

On en reste donc, pour le moment, que le texte anglais le plus ancien : la mort-anglaise est le lieu d’où est parti le boulet

 Cette batterie figurait déjà sur le croquis dessiné par Vauban vers 1693, recensant  les dispositifs construits et prévus pour protéger les abords de Camaret. Il s’agit du numéro 9, du moins celui, qui est à gauche. Le second numéro 9 concerne la pointe, qui est plus loin, après stang ar prat. Ce croquis est visible dans le fortin de la pointe des espagnols.

Enfin le cadastre actuel est bien clair

Quelle mouche a donc piqué les géographes qui l’ont mise plus à l’est?

 Mais aussi d’où vient l’appellation néo-bretonne de Beg Berenneg, que l’on voit un peu partout?

 Les sépultures des soldats anglo-hollandais

 Ici encore les textes contemporains n’en parlent pas.

 Les BMS de 1694 ne mentionnent pas non plus d’un soldat français, qui aurait été enterré dans l’église de Crozon, confirmant ainsi, qu’il n’y a pas eu de mort du côté français, contrairement à ce, que l’on peut lire ici et là..

A moins,qu’il n’aient été enterrés à Camaret.

Mais, dans des textes plus récents, on lit, que les soldats anglais ont été enterrés dans les dunes. Or, s’il n’y a pas vraiment de dunes en arrière de la plage de Trez Rouz, il est possible qu’elles aient disparu après 3 siècles de tempêtes.

 En arrière de la plage il y avait un marais, qui figure encore sur la carte n° 5350 du service hydrographique de la marine, daté de 1911, même si le cadastre de 1830 l’ignore.

J’ai fait un lien avec un marais identique, quoique plus petit, existant à Roscanvel entre les villages de Trégoudan et Lodoen. Les deux marais sont situés à l’ouest des étangs de Kervian et de penarpoul; ce sont les traces des anciennes rivières qui se jetaient dans la rade de Brest.

Quand j’étais gamin on m’a dit que le marais de Roscanvel était en fait le cimetière des chevaux.

D’où l’assimilation à Trez Rouz, sachant que la bataille de Camaret a fait plusieurs centaines de morts parmi les assaillants et qu’il fallait aller vite.

Le marais a disparu sur la photographie aérienne datant de 1919, sachant que la carte marine de 1911 est une recopie d’une carte plus ancienne.

Examen du cadastre de 1830

 Pour aller plus loin il faut consulter l’état des sections du cadastre, section 1 de Quélern pour la partie nord, section 2 de Lesvrez, et section 3 de Rigonou pour la partie sud.

Le marais devait être plus grand autrefois, car une partie du glacis, devant la demi-lune, porte le nom de « ar yeun » dans l’état de la section 1 .

Les 4 parcelles (880 à 883) en haut de la plage, au niveau de la première crique, ont pour nom « pouldu », nom qui était aussi celui de l’anse, sachant qu’à la fin du 17ème siècle on parlait plutôt de « l’anse du tremet ». Dans l’un des dénombrements des populations on parle même de section de Trémet pour regrouper tous les villages situés dans cette zone.

En arrière il y a une longue bande de terre « parc an trez rouz », Cette parcelle de 4710 m² faisait partie de l’indivision Laé-Keraudren-Jaffré

Elle est coupée en deux par le ruisseau et se prolonge sur la section 2.

Derrière, à l’emplacement du marais signalé sur la carte de 1911 on a « prat ar marquis » et « ar marquis » vers la côte.

Cette désignation inhabituelle fait-elle référence au marquis de Langeron, qui commandait les troupes françaises cantonnées en arrière de la plage, à l’abri des levées de terres, comme l’écrit M. de Nointel dans son rapport du 19 juin 1694 ?

. pour se rendre dans l’anse du Tremet.

tous les retranchements, qui étaient garnis de milice du pays et de 8 compagnies franches de la marine qui défendaient ce poste-là, sous le commandement de Mr le marquis de Langeron….

La plupart des parcelles appelées « marquis » et « prat ar marquis » sont qualifiées de pâture, parfois de lande, jamais de terre labourable.

Le grand champ ci-dessous est à peu près à l’emplacement d’Ar Marquis. Le terre est grise en bas et brune en haut. B. Hellegouet l’avait d’ailleurs signalé en 2006.Le Yeun est en haut et à droite.

Après le chemin, qui traverse l’isthme (ce chemin est visible sur la carte de 1782 ; il porte le nom « chemin de pouldu à la petite porte » sur le plan cadastral), on entre dans la section 2 de Lesvrez, village de penarcreac’h.

Les 5 premières parcelles portent le nom de « parc an trez rouz). Jacques Jaffré en a une. En allant vers Kerellot on a, le long du chemin « goarem bras », puis « tiriennou coz » et « douar siligou ». Seule la parcelle 25 porte le nom de «ar marquis ». Elle est aussi la seule à être qualifiée de pâture avec les deux parcelles voisines (« foënnec bihan izella »).

On retient cependant que « tirien » est associé à un terrain en friche et que « sil » fait référence à des infiltrations d’eau, pas assez importantes pour devenir des sources (Stivel) .

Un point important : Les parcelles suivantes en bord de plage s’appellent « lennou lin », puis « tachen ven » et enfin « parc stang » le long du ruisseau, qui se jette dans la mer au bout de la grande plage.

Les deux derniers groupes sont parfois qualifiés de pâture, donc de zone humide, qui aurait pu également servir de sépulture, sachant que l’adjectif « ven » peut être lu de plusieurs manières.

Le reste est qualifié de landes.

En allant vers la pointe Ste Barbe les appellations font référence à la topographie des lieux ou à l’usage que l’on en fait (foënnec coz, foënnec an od ou iz an hent, euc’h an hent).

Les appellations « iz an hent » et « euc’h an hent » s’appliquent à deux zones situées respectivement en contrebas et au dessus du chemin, qui mène de Lambézen à la plage de Trez Rouz. C’est très vraisemblablement ce chemin, qu’ont emprunté les soldats venus en renfort de Châteaulin, car on sait qu’ils sont passés par Crozon, Kerloc’h et Rigonou.

CONCLUSION PROVISOIRE

Il faut retenir que l’appellation « trez rouz » est antérieure à la bataille de 1694, puisqu’elle est déjà sur une carte de 1693, il ne reste plus que deux rappels de cette bataille dans la toponymie locale : la batterie de « la mort anglaise » et « ar marquis », éventuellement « tachen ven ».

Sous réserve de « tachen ven » il n’y a donc pas de référence à une quelconque sépulture, mais il ne faut pas oublier le « yeun », qui s’étend sous le glacis. Il est possible qu’il ait servi de sépulture, mais que les habitants des villages voisins n’aient pas jugé utile de changer le nom des lieux.

Pourtant le cimetière des anglais existe bien.

 Il est mentionné dans les BMS de la paroisse de Crozon.

le 17 octobre 1742 sont enterrés 6 individus, qui se sont noyés en baie de Camaret et dont les cadavres ont été retrouvés près du « cimetière des anglais ». Un septième cadavre a été enterré le 30 octobre; il avait été trouvé  « sous Lambézen ».

 Le terme « cimetière des anglais » se rapporte-t-il alors à la plage de Trez Rouz, ou aux champs, qui se trouvaient en retrait de cette plage, donc vers Prat ar Trez Rouz ou bien Ar Marquis et qui ont été recouverts par le glacis?

En fait il suffisait d’en parler avec Marcel Burel : en 1935 lors de la construction  de son hôtel restaurant (et surtout de la salle de danse) M. Madec a trouvé des ossements. L’hôtel était situé entre la RD355 et la plage, à peu près au niveau de l’entrée du camping et donc entre Parc ar Trez Rouz et la mer.

 Enfin, s’il apparaît dans le PLUI de Crozon une zone archéologique de niveau 1, juste à côté du camping, il s’agirait d’un habitat gallo-romain, rien à voir avec la bataille du 18 juin 1694.