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Parmi les frères d’Hervé Le Bihan il en manquait deux au moins :
François-André, dont le nom figure sur le monument au morts de Roscanvel, et
Yves-Marie, qui apparaît dans les recensements de la commune de Roscanvel, jusqu’en 1901.
Faute d’informations directes, je suis allé consulter les registres de l’Inscription Maritime, conservés au SHD de Brest, où je les ai retrouvés. Il reste cependant des zones d’ombre. Yves-Marie a été abordé dans la page 06-31. Il restait le cas de François André.
Saurons-nous un jour la vérité sur la mort de François-André Le Bihan ?
Si son nom figure sur le monument aux morts de Roscanvel, il a été oublié par sa famille (sauf par sa sœur Isabelle) et il a été difficile de retrouver sa trace.
François André Le Bihan apparaît dans les registres de l’inscription maritime, sous le matricule 1244 (quartier de Camaret). Il est né le 25 juillet 1888.
Le 16 août 1906 il embarque sur le Forban, bateau du quartier de Camaret ; il y est resté un mois.
Le forban
Ce bateau n’est pas un inconnu.
Il a été construit par Auguste Laé.
Un article lui a d’ailleurs été consacré dans la dépêche de Brest du 6 mai 1903 :
Ce navire, qui jauge 19 tonneaux 51 et dont la coupe gracieuse rappelle celle de nos yachts, sera, aux dires des amateurs, d’une marche supérieure et d’une solidité à toute épreuve.
Il a été baptisé Forban et appartient à M. Nicolas, pilote à Brest; il est destiné à la pêche des crustacés sur les côtes d’Angleterre.
L’année suivante le retrouve sur le Vigilant, également de Camaret, où il fait deux campagnes.
Service militaire
Le 27 juillet 1908 il est appelé pour faire son service militaire. Curieusement il renonce à faire valoir ses droits en tant que fils aîné d’une famille de 7 enfants (oubliant en passant de tenir compte de son frère Yves-Marie).
François André est chauffeur breveté.
Il est affecté successivement sur plusieurs bâtiments, pour des périodes courtes, avec des séjours à terre dans les dépôts de Cherbourg, Brest et Toulon.
Il est congédié le 5 août 1912, après 4 années de service militaire.
Il retrouve Camaret pour deux courtes campagnes sur un bateau, qui porte le nom de Marcel.
Rappel
Il est rappelé le 6 avril 1914 et dirigé vers le 2ème dépôt de Brest.
Le 11 août 1914 il embarque sur l’Aventurier (un contre-torpilleur, qui porte le numéro 172 d’après la photographie du service historique de la défense).
La fiche 1244 se termine par une information succincte :
Décédé à Dunkerque le 27 septembre 1915 (circulaire du recrutement).
Le contre-torpilleur AVENTURIER
Construit en 1910-1911 à Nantes aux Ateliers et Chantiers de Bretagne pour l’Argentine, sous le nom de Mendoza, il a été racheté par la France le 10 août 1914 et rebaptisé « AVENTURIER ».
Il se retrouve très vite au large de Dunkerque, où il fait partie de la flotte mise à la disposition de l’amiral Ronarc’h pour verrouiller l’entrée de la Manche.
Le livre SUR LES BANCS DE FLANDRE de PAUL CHACK décrit, parfois en détail, ce que fut le combat mené par l’Amiral Ronarc’h et par son homologue britannique, l’Amiral Bacon, pour défendre cette zone indispensable au ravitaillement du front.
Curieusement il ne dit pas grand-chose sur les torpilleurs, préférant décrire l’enfer qu’ont vécu des bateaux plus petits. Il dit seulement que l’Aventurier était l’un des quatre torpilleurs d’escadre français (ex contre-torpilleurs) présents au large de Dunkerque.
Dans une courte notice publiée sur le net on sait seulement qu’il a participé à la bataille de l’Yser en octobre 1914 ; il a notamment bombardé Lombaertzyde. Ensuite il y a un trou, puis on va le retrouver à Toulon. Il sera finalement désarmé en 1938.
Ce que dit le site Memorial-genweb.org
Ce site donne la liste des combattants « morts pour la France », classés par lieu de sépulture ou par bâtiment. Il apporte des éléments de réponse, même si les informations fournies sont incomplètes.
Si François Le Bihan ne figure pas sur la liste des « Morts pour la France » publiée par le site, il apparaît cependant dans la liste de la Nécropole Nationale de Dunkerque. Sa tombe porte le numéro 1641 (tombe individuelle).
La fiche du mémorial est très succincte. Elle donne comme date du décès : 26 juillet 1915, deux mois avant celle qui figure sur le registre de l’inscription maritime. De plus elle donne comme motif du décès : en mer, avec la référence 998.
Or, dans les rares cas de décès en mer, qui sont signalés par Memorial-genweb, il s’agit pratiquement toujours de décès dans un navire hôpital.
Le cas de François Le Bihan est donc une anomalie.
D’après Memorial-genweb François Le Bihan a été le seul marin décédé à bord de l’Aventurier. Il pouvait s’agir alors d’un accident survenu à bord au retour de mission.
Dans son livre « Roscanvel chronique du XXème siècle », Marcel Burel écrit que François André a été récupéré dans la passe de Dunkerque et débarqué quai des Hollandais.
Mais qu’en est-il vraiment ?
Que s’est-il passé le 26 septembre aux environs de Dunkerque? (ou le 26 juillet, sachant que l’habitude d’écrire le nom du mois de septembre sous la forme 7bre n’avait pas totalement disparu en 1915 et qu’il y a pu avoir une confusion lors de la transcription des informations).
La réponse est sur le site « Mémoire des Hommes »
Le journal de bord de l’Aventurier, accessible en ligne sur « Mémoire des Hommes »_cote SSY43, ne permet pas d’en savoir plus. Examiné sur plusieurs semaines il n’est pas mention de la disparition de François Le Bihan.
Le journal de navigation, qui n’est rempli qu’à la mer (cote SSY44), passe du 22 au 27 septembre et du 27 au 1er octobre ; l’Aventurier est resté dans l’avant-port du 23 au 26.
Il faut donc chercher ailleurs.
Finalement la réponse se trouve dans le journal de correspondance du commandant de l’Aventurier, publié également par « Mémoire des Hommes », également sous la cote SSY43.
Porté déserteur
On y trouve le rapport du capitaine de compagnie du 2 janvier 1915 :
François, embarqué le 27 décembre 1914 (la fiche de l’inscription maritime donne le 11 août 1914 !), n’est pas rentré de sa permission du 1er janvier 1915 après-midi.
Il faisait partie d’un groupe de 5 marins. Après avoir bien bu, ils sont retournés vers leur bâtiment. 3 sont rentrés à bord, il manquait Le Bihan et Champalaune, qui traînaient. Il faisait nuit et les quais n’étaient pas éclairés.
Un dossier de désertion a été ouvert, conformément au règlement. L’Aventurier retournant à Brest le 2 janvier, il n’a pas été fait de recherches à Dunkerque.
Son corps n’a été retrouvé que le 26 juillet; malgré l’état de décomposition du corps et de l’uniforme, il a été identifié par une lettre de ses parents, qui était encore dans ses vêtements.
Un autre corps, qui pourrait être celui de Champalaune, a été retrouvé au large le 29 juillet, mais il n’a pas été identifié formellement et Champalaune est resté déserteur.
Le journal de correspondance du commandant contient une copie des courriers échangés avec l’inscription maritime en août 1915. Les parents étaient inquiets de ne pas avoir de nouvelles de leur fils depuis le début de l’année.
Le rapport du capitaine de compagnie n’a été envoyé au 2ème dépôt de Brest que le 20 juillet, finalement peu avant la découverte du corps de François André.
Le maire de Roscanvel a fait identifier la lettre par les parents, mais la confirmation de son décès n’est intervenue que plus tard, d’autant plus qu’il y a eu confusion avec son frère Yves Marie, quartier maître, qui se trouvait justement au 2ème dépôt de Brest pendant cette période.
Mort pour la France
Le corps ayant été retrouvé dans l’avant-port de Dunkerque, le commandant de l’Aventurier a demandé que François André soit considéré comme disparu et non pas comme déserteur pour que la famille puisse toucher un secours.
Puisque le torpilleur était en campagne de guerre, le décès a été déclaré « en mer » et François André, qui s’est noyé en rentrant de permission, est ainsi devenu « Mort pour la France ».
C’est pourquoi son nom se retrouve sur le monument au mort de Roscanvel.
Au dos d’une carte postale figurent quelques dates : les dates de naissance de ses parents, celles de sa disparition et de la découverte de son corps
Des questions subsistent
Le journal de bord du 1er janvier 1915 est particulièrement succinct. Contrairement à ce que l’on peut lire par ailleurs, il n’est pas mention de permissionnaires et il n’y a donc pas eu d’appel à leur retour.
Tout est basé sur les explications données par les autres permissionnaires. Il n’y a pas eu d’enquête puisque l’Aventurier repartait le lendemain pour Brest.
Il reste aussi à élucider le problème de la date du 27 septembre. Si le corps a été retrouvé le 26 juillet, c’est donc lors de la rédaction de la circulaire, qu’il y a eu confusion entre les mois de juillet et septembre (7bre), ou, plus simplement, que cela correspondait au temps nécessaire pour effectuer les démarches administratives.