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Point de départ
L’affaire commence lors de la lecture d’un échange sur internet entre deux militaires, qui avaient effectué un séjour au Sourdis.
Le premier décrit son séjour et précise : « Quélern, en breton Kerlern.
Le malheureux ne savait pas ce qui allait lui tomber sur la tête.
En des termes particulièrement choisis, son collègue le remet à sa place : « en breton on dit Kelern ».
Qui a raison ?
En effet sur le panneau à l’entrée du hameau on a effectivement « Kelern », mais cette orthographe est-elle la bonne ?
La première marche
Lors de la précédente version j’ai loupé la première marche et je suis parti droit dans le mur.
En effet, la bonne question c’est : quel breton ? Celui des villes, que l’on voit désormais sur les panneaux indicateurs? Celui des champs avec toutes leurs variantes locales?
Déjà certains panneaux ne sont pas toujours cohérents. Juste à côté il y a le village de Saint Fiacre. D’un côté on trouvait Sant Fiakr, avec un K pour faire vrai ; de l’autre on a Sant Fieg, du nom de l’ancien saint, comme on associe St Rémy et St Riok ou St Eloi et St Alar. Cela a été corrigé.
La commune de Crozon est plus prudente : on trouve « Kraozon » sur les panneaux indicateurs et certaines publications, mais parfois elle ressort aussi l’ancien nom breton de la paroisse:« Kraon ».
Commençons par celui des champs.
Le sieur de kerlern
Goulhezre, sieur de Kerlern
Si « Kerlern » se retrouve dans le dictionnaire de la noblesse de 1774 et dans la plupart des textes concernent la famille Goulhezre, première à porter le titre de seigneur (ou sieur) de Kerlern, les transcriptions des montres disponibles sur internet donnent déjà Quelern car elles sont retranscrites en OCR. Il faudrait avoir accès aux documents d’origine. Il ne faut pas oublier, que jusqu’à une date relativement récente, les trois lettres « Ker » étaient représentées par un K majuscule avec une petite boucle, qui a pu être assimilée à la lettre « e » ; le « r » est alors passé à la trappe.
La famille Goulhezre (avec diverses graphies : Goulere, Goulaire, Gouler…), originaire de Saint Nic, avait beaucoup de biens dans la presqu’île, dont Kerlern, Tremet, Trébéron, Rigonou (mais il s’agit ici d’un village du même nom vers Saint Nic).
Legentil de Kerlern
Le titre de « sieur de Kerlern » est passé dans la famille Legentil en 1659, quand Tanguy Legentil a épousé Françoise Esther Goulhezre, Dame héritière de Kerlern.
Pour se distinguer des autres branches de la famille il s’est fait appeler par la suite Legentil de Kerlern.
Le dernier à porter ce nom a été Emmanuel-Marie Legentil de Kerlern.
La chancellerie de la Légion d’Honneur a mis sur internet une partie de ses archives et on trouve ainsi son dossier:
Emmanuel-Marie est bien né en 1775 et non pas 1773, comme on le voir souvent. Le nom est bien Kerlern , en utilisant l’abréviation usuelle de « Ker ». Cette orthographe se retrouve dans la copie de l’acte de baptême.
On le voit enfin dans le serment au roi.
Il faut noter la signature : « Legentil » en un seul mot, que l’on retrouve aussi dans des actes de 1812 mais pas dans l’état des sections.
Les noms de lieu
Quand on regarde les BMS d’avant la révolution on constate que, si la famille signe bien « Kerlern », elle habite le château de Quélern. Sur une carte c’est même Quelerne. A noter la dénomination « château », que l’on retrouve déjà dans les documents datant de 1694 ; elle caractérise même la maison occupée, qui est occupée par Vauban au Mingam.
Dans l’acte de mariage daté du 20 mars1738 de René Joseph de Kersauzon avec Anne Yvonne Daniel, veuve de Tanguy Legentil on trouve les deux.
Dans l’acte de décès d’Anne Folgar de 1741 : son mari, Marc Derrien, habite Kerlern.
Par contre, quelques années plus tard, dans un rachat de droits seigneuriaux en 1753 : Marc Derrien habite Kerlern-Tremet.
C’est par ailleurs le seul document, où l’on voit le nom de lieu « Tremet » associé à celui de Quélern.
Jean Raoul habitait Quelern en 1739, mais un siècle plus tard la veuve de Louis Raoul habite Kertoupin, près du manoir.
Le manoir et Kertoupin
Comme dans beaucoup de cas similaires, le village est à cheval sur deux sections et deux feuilles : 2.1 de Lezvrez et 8.1 de Persuel. A proximité du village de Kertoupin on a Liors Quelern. Cela milite alors pour un changement de nom.
Liors Quelern est également à cheval sur les deux feuilles ; on retrouve les mêmes propriétaires.
Si on va un peu plus loin en direction de Penarcréac’h on se retrouve sur Menez Quélern, qui est juste au dessus de Parc Pitet. Cela commence à la parcelle 212, qui est rattachée à Penarcréac’h puis continue de la parcelle 232 à la 237 ; elles sont rattachées au village de Persuel. Curieusement au dessus de Liors Quélern on a Menez Belec (il devait y avoir une chapelle et un prêtre au manoir).
Aujourd’hui, comme en 1782 ou en 1830, il n’y a que deux fermes dans le village ;
Le manoir n’est plus habité depuis 1990; il a été racheté récemment.
Il suffisait de lire Fréminville
L’examen des BMS et des généalogies publiées sur internet, notamment sur le site GENEANET, montre que l’orthographe des noms dépend beaucoup de la lisibilité des documents. Il en résulte parfois de très nombreuses variantes, qui ne facilitent pas la recherche des ascendants. Dans ces conditions, quelle orthographe faut-il retenir ?
Les noms évoluent également.
Par exemple le village de Quélern, du mois la partie sur le plateau, apparaît rarement pas en temps que tel, sinon sous l’appellation de camp ou retranchement de Quélern, parfois lignes de Quélern, mais aussi souvent sous la forme « camp de Kerlern ».
Nom de famille et nom de lieu
En fait le problème vient de ce que l’on mélange deux choses : les noms de famille et les noms de lieu.
Le nom de famille est bien Kerlern, puisque qu’il est encore utilisé par le dernier représentant de la lignée, comme on l’a vu plus haut. Il est même reproduit correctement dans les documents de la Chancellerie.
Comme on l’a vu aussi, le village devait s’appeler Kerlern, comme le manoir. Il devait englober, ce qui est aujourd’hui Kertoupin. Puis, après la bataille de 1694, qui a vu arriver des nobles ne parlant pas le breton, ces derniers ont francisé le nom en Quélern ou Quélerne dans leur correspondance. Cette appellation s’est peu à peu étendue aux lignes, puis aux constructions en retrait des lignes, notamment après la disparition du village de Tremet.
A certains moments elle s’est même étendue à toute la presqu’ile de Roscanvel. Elle reste encore utilisée aujourd’hui parfois de manière abusive, par exemple, quand on parle de la cale de Quélern, située à Beg Ar Grogn, pointe, qui dépendait du village de Kerincuff. Vous suivez ?
La prononciation des noms bretons est parfois difficile (il suffit d’entendre à la radio des présentateurs écorcher les noms des invités). Elle varie d’ailleurs selon les régions, les situations (essayez d’expliquer la différence entre Lanvaux et Lanvéoc). Les non-initiés ont donc cherché (et trouvé) des appellations faciles à retenir (on a bien en Français Londres pour London).
L’exemple ultime est le passage de Penfeuntenyo à Cheffontaines. Il n’y a rien de nouveau. Il faut pouvoir communiquer, ce qui peut entraîner des distorsions.
Cela nous ramène au 16ème siècle, quand le fort de la Pointe de Espagnols s‘appelait fort de Crozon ou fort du Léon, ou au 17ème, quand la Pointe des Capucins était appelée Pointe de Camaret…
Plus près de nous j’avais utilisé dans ma thèse de doctorat un qualificatif, qui me semblait résumer la structure du produit sur lequel j’avais travaillé: « turbostratique », emprunté à un chercheur américain (M. Warren). Des années plus tard j’ai pu constater que tous les chercheurs qui avaient pris la suite utilisaient désormais les lettres grecques : alpha et béta pour distinguer les produits. Tout est bien un problème de communication.
Conclusion
En guise de conclusion terminons par le breton des villes.
En breton local c’était « kerlern » ; dans la langue courante c’est devenu Quélern.
Mais en néo breton, celui des panneaux indicateurs, ce devrait être « Kerlouarn », puisque, dans un document « officiel » récent, l’île du renard a été rebaptisée « Enez Louarn », alors qu’elle s’appelait autrefois « Enez Lern ».
Et il y a toujours des renards