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le partage des biens communaux
Avant la révolution chaque village tenait à la disposition de ses habitants des terres, essentiellement des pâtures et des terres vaines. La loi du 10 juin 1793 a ordonné leur mise en vente. Cela ne s’est pas fait sur le champ et il reste encore aujourd’hui des biens communaux non partagés comme le Prat à Trégoudan. Parmi les 300 documents de la caisse il y avait le partage de la montagne de Trégoudan et celui de la montagne de Lannilien. Cela conduit à se poser des questions sur la signification du mot « montagne ». En fait cela recouvre toute zone impropre à l’exploitation et qualifiée le plus souvent de terre vaine. Dans certains cas c’est une zone plus élevée mais pas toujours.
Le partage s’est fait progressivement dans le Goulet. Vers 1830 il ne restait plus, qu’une zone non partagée. Cela s’est fait aussi avec un extrême morcellement des terres.
Le remembrement de Roscanvel dans les années 50 aurait pu remettre les choses en ordre mais il n’y est pas arrivé, du moins pas complètement.
Il manque malheureusement le mode d’emploi ou plutôt nous n’avons pas tous les documents concernant les conditions d’attribution des nouvelles parcelles. Il semblerait, que la règle de base consistait à répartir les lots en fonction des superficies déjà possédées. Ceux, qui n’étaient pas déjà propriétaires n’avaient plus accès à ces terres communes et les gros propriétaires en avaient encore plus. C’est une curieuse conséquence de la Révolution.
Aujourd’hui la tendance serait à l’inverse. Les municipalités ont besoin de se constituer des réserves foncières pour construire des logements sociaux, des écoles… Mais il y aussi d’autres préoccupations, notamment de limiter le « mitage » de la côte. le PLUI a donc fixé de nouvelles règles du jeu. On y reviendra dans le chapitre sur les successions.
La loi du 10 juin 1793
La loi sur le partage des biens communaux est parfois appelée décret sans, qu’il apparaisse toujours de manière claire, s’il y avait une différence, du moins à cette époque.
Le décret est disponible sur Gallica.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56939z/f2.image.texteImage
En ce qui concerne la loi, elle serait datée du 14 août 1792 mais il est difficile de s’y retrouver car la période était particulièrement troublée. La monarchie venait de tomber, la Terreur s’installait et Valmy n’était pas loin.
En fait il semble y avoir confusion entre plusieurs documents, qui se sont peu à peu agglomérés
Dans la caisse en bois il y a deux documents, qui traitent de ce type de partage :
le partage de la montagne de Trégoudan et celui de la montagne de Lannilien. De plus ils ne sont pas complets et le lien avec le cadastre de 1830 est à peu près inexistant, ce qui est déroutant..
Une piqûre de rappel sur le toponymie n’est pas inutile:
Menez, dans la presqu’île, se dit d’une pièce de terre inculte ou presque, dans lesquelles poussent des bruyères, des ajoncs…produits néanmoins indispensables pour le paysan.
La plupart des terres en bordure de falaise sont également qualifiées de « menez », qui prennent quand même le nom de montagne en français même, si leur surface est à peu près horizontale.
Il y a menez ar cap près du cap Tremet ou Menez Trégoudan au dessus du village. Il y a aussi Menez Léac’h Izella sur la côte. Par contagion tout ce qui est inculte est appelé menez
Parmi les appellations liées à des situation en pente il y a :le rhun, le créac’h, le ros, ar Gorre (an Hor)… sans distinction précise entre les dénominations, puisque l’on va trouver « penarcréac »h » sous la forme écrite et « penarher » sous la forme parlée (écrit penarhor à Trégoudan). Dans ce cas il s’agit d’une mutation de Gorre. On a même Menez Gorre à Crozon.
Dans certains cas ce ne sont pas toujours des terres non cultivables.
Quand la pente devient un peu plus forte on utilise le terme « stang » ; ce n’est pas un étang, qui se dit, selon sa taille : loc’h, poul et, enfin toul ou toulig pour le plus petit. « Stang » est un vallon étroit, mais pas toujours.
Une pente très forte est souvent qualifiée de « tors », sachant, que ce, qui est vrai pour Trégoudan ne l’est pas obligatoirement pour Rigonou ou Kerloc’h. Chaque groupe d’individus peut avoir une perception différente de celle de son voisin.
Tout n’a pas été partagé
La loi n’est pas très contraignante car en 1830 il reste encore des terres non partagées, notamment le Prat à Trégoudan mais aussi Menez Keravres en bordure du Goulet.
Récemment la commune de Roscanvel a cédé la partie haute du Prat, qui donne sur la route de l’Iroise. Je ne vois pas très bien ce que l’acquéreur pourra en faire.
Le partage de la montagne de Trégoudan
En fait il y a 4 partages, en fonction des différentes tenues concernées.
Il est légitime de penser, que ce partage a été fait dans la cadre du décret de la Convention du 10 juin 1793 (an II), bien que cela ne figure pas sur le document. On peut s’attendre aussi à retrouver les parcelles dans le cadastre napoléonien, soit sous la forme de terrains appartenant aux habitants du village, si le partage a eu lieu après la rédaction du cadastre, soit sous la forme des parcelles individuelles, si le cadastre a été établi avant. En fait ce n’est pas si simple.
Le tableau de synthèse ou la liste des parcelles appartenant au village
Dans ce tableau on retrouve bien Poul Brein, appelé Poul Bren, Léac’hCazi, Tors Cren et Menez Bian, mais pas le premier partage de la tenue Brézal. Curieusement ce nom de Brézal n’est jamais apparu dans les autres documents contenus dans la caisse.
L’imprimé est légèrement différent de celui utilisé pour dresser la liste des biens de Jean Derrien, mais le signataire est le même. Ils sont donc proches dans le temps.
Cette feuille non datée est en phase avec le cadastre de 1830, du moins pour la partie inférieure. Le regroupement Cost ar Prat et ar Prat pour donner une parcelle unique de 7440 m² se retrouve à l’identique dans l’état des sections. Par contre des parcelles voisines portent parfois le même nom. Il y a eu un partage précédent.
Les numéros des parcelles, quand ils sont lisibles, sont ceux du cadastre napoléonien, ce qui confirme, que le partage a bien été fait après l’élaboration du cadastre.
Cependant, quand on regarde l’état des sections, qui a été mis à jour lors du rattachement des villages et Quélern et de Trégoudan en 1851 à la commune de Roscanvel la parcelle n°3 fait toujours plus de 2 hectares. Le partage, s’il a eu lieu, n’a pas encore été enregistré.
Les bénéficiaires
Les bénéficiaires des 4 partages sont, d’une manière générale, les mêmes personnes, mais 3 ne sont présents que dans une seule et sur les 13 propriétaires, 8 sont en fait des indivisions (7« héritiers » plus Jacques Keraudren et consorts =les Laé). Le fait de voir apparaître les héritiers de Jean Derrien laisse à penser que le partage a eu lieu après 1835, année de son décès, mais avant 1839, année du partage Laé-Keraudren.
Il est intéressant de noter que les héritiers de Jean Penfrat sont les Cornic, information, qui n’apparaissait pas dans les précédents documents, notamment celui sur Garrec Ven. Il doit s’agir du fils de Jean Penfrat (SOSA96), père de Joseph Penfrat (SOSA48), mais ce n’est pas prouvé.
Dans le partage les superficies sont données en ares et en cordes, mais elles ne coïncident pas avec celles de la feuille.
Tenue Cazy / Menez bian
Le premier partage est dans la tenue Cazy, avec en sous titre Menez Bian.
Le document ne dit pas comment le partage a été fait, ni où se trouve exactement Menez Bian, sachant de l’appellation « Menez » ne veut pas dire une montagne, ni même une colline; parfois il s’agit seulement d’un terrain en pente ou tout simplement d’une terre vaine au milieu d’une zone cultivable.
Pour le cadastre napoléonien Menez Bian est une parcelle (n°355) appartenant au village de Trégoudan, mais tourné vers la rade de Brest. La surface donnée par le cadastre (2860 m²) est un peu plus élevée.
Tenue Izella / Tors Cren
Le partage dans la tenue « Izella » se limite à une grande pâture : « Tors Cren ».
Ici encore on a des superficies très variables : de 200 à 3700 m².
La superficie totale partagée est de 13140 m². Or, selon le cadastre, la parcelle « Tors Cren », qui appartient au village (n° 181) fait 22140 m², juste 9000 m² en plus. Cette pâture est située le long de la route qui va vers Roscanvel, au niveau du virage. Elle n’occupe pas tout le losange.
Tout n’a donc pas été partagé.
Pour la tenue Brézal on a deux partages : tout d’abord une pièce de lande, sans plus de précisions. Le texte est à cheval sur deux pages.
La surface totale est importante : 16355 m², mais elle ne figure pas dans le tableau de synthèse, sauf s’il s’agit de Léac‘h Casi.
Il faudra aller chercher dans le partage de 1839.
Tenue Brézal / Poul broën=Poul brein
Le deuxième partage dans la tenue Brézal concerne Poul Brein.
C’est une zone caillouteuse, située en arrière de la faille du même nom
Elle été transformée partiellement en carrière il y a quelques années. La parcelle N°3, qui porte ce nom part du sentier, qui mène au fort de la Fraternité, et s’arrête au virage, comme le montre le plan sur soie.
Curieusement pour ce partage les superficies sont données en cordes.
Ici encore tout ne semble pas avoir été partagé.
On peut se demander ce que certains ont trouvé dans ce partage. Seule la partie nord peut présenter de l’intérêt comme pâture, comme on le voit sur la carte postale ci-dessous.
Le partage prend comme référence le vieux chemin (goarem coz?) ; est-ce le prolongement du sentier de douaniers qui vient de Camaret ? Dans ce cas il ne doit plus rester grand-chose à la suite des nombreux effondrements.
Un point à signaler : dans le partage il est noté Poul Broën au lieu de Poul Brein. Le sens est différent car Brein = pourri pour rester dans le discours courtois et Broën = joncs, comme ceux de l’étang tout proche, où il y a effectivement des joncs; quelle est la bonne version ? En Français c’est le trou du diable.
Le partage de la montagne de
Lannilien
Lorsque l’on se promène le long de la côte de la presqu’île de Crozon, au sommet des falaises on voit des étendues de bruyère et de lande rase avec çà et là des rochers. Ce sont des zones incultes, qui appartiennent généralement aux habitants des villages voisins, ou plutôt à l’ensemble des propriétaires de ces villages. Elles sont souvent qualifiées de terres vaines sur le cadastre ou dans les actes de propriété. C’est notamment le cas vers la Fraternité. Nous étions d’ailleurs les heureux propriétaires de plusieurs parcelles que nous avons vendu au Conservatoire du Littoral (voir la page précedente)
Très vite les habitants ont cherché à exploiter ces zones. Un exemple type est celui du village de Lostmarc’h. Des parcelles ont été matérialisées, travaillées, puis découpées en lanières, selon le schéma classique. Mais lors de la réalisation du cadastre toute la bande côtière était encore restée propriété commune.
On a la même situation à Ouessant, où les bords de falaise ne sont pas cultivés.
A l’inverse à Trégoudan tout avait pratiquement été réparti, probablement au moment de la Révolution, puisque le document mélange des cordes et des ares. Les parcelles vont jusqu’au bord de la falaise, comme on l’a vu plus haut.
Lannilien est un cas proche de celui de Lostmarc’h : en bordure de mer il reste de vastes étendues, qui sont restées dans l’indivision.
En 1866 le Tribunal de Première Instance de Châteaulin va procéder à la licitation de terres indivises situées sur les villages de Lannilien et Kerloc’h , qui dépendaient alors de la commune de Crozon, mais qui sont aujourd’hui rattachés à Camaret.
Les personnes impliquées
Si les demandeurs sont au nombre de huit, plus de 200 individus sont concernés par ce partage. Leur liste permet d’avoir une idée des alliances, car on retrouve souvent les mêmes noms. Le document de 24 pages est à la fois précis et confus. Si les demandeurs sont bien identifiés et regroupés, les défenseurs sont répartis en deux groupes : 28 pour le premier groupe, qui correspond aux exploits de début juillet 1866, et 241 pour le second groupe pour les exploits de fin juillet 1866. Les conjoints portent un numéro différent, ce qui allonge la liste. Dans la plupart des cas le domicile est indiqué. Curieusement, à une exception près, il n’y a pas d’enfants mineurs sous tutelle dans la seconde liste.
Il faut noter enfin que les notables ont le droit d’être appelés « Monsieur, Madame ou Mademoiselle ».
Sous réserve de d’erreurs éventuelles ou d’omissions, il est possible de trier les protagonistes par nom de famille ou par domicile. Le tri par domicile montre que, sur 277 personnes, 150 habitent le commune de Camaret et 70 les villages, qui seront rattachés à Camaret en 1908, comme Lannilien et Kerloc’h.
Compte tenu de la population de Camaret à cette époque, et sous réserve de vérification des recensements effectués autour de 1866, on peut considérer que le quart, au moins, de la population de la commune est concerné par le partage.
Auguste Laé et Véronique Quélen figurent sous les numéros 19 et 20 dans le premier groupe. Véronique Quélen est mineure émancipée par le mariage. Elle est la seule dans ce cas. Ils habitent Trégoudan. Le document en notre possession est l’exemplaire destiné à Auguste Laé et Véronique Quélen.
Jacques Laé et Marie Laurence Mérour figurent dans le groupe le plus important sous les numéros 132 et 133. Ils habitent aussi Trégoudan. Leur exemplaire n’a pas été retrouvé, soit parce qu’il a disparu dans le chantier d’Auguste Laé, soit parce qu’il a été donné à Victorine Laé, lors des partages des biens de Jean et Joseph Laé. Mais il manque aussi les copies des exploits et le résultat de la licitation.
La zone à partager
Le partage ne s’applique pas à toute la zone mais seulement à 6 parcelles, qui portent les numéros 1457, 1458, 1459, 1460, 1461 et 196.
5 parcelles appartiennent alors à la commune de Crozon : 1457 à 1461 ; elles sont qualifiées de terres vaines
Curieusement dans cette liste ne figurent pas les parcelles 1462 et 1465, qui étaient aussi propriété de la commune de Crozon, lors de l’établissement du cadastre napoléonien, comme si un premier partage avait déjà eu lieu.
Inversement le partage inclut la parcelle 196, terre labourable située près du village de Saint Julien/ Lannilien et appartenant à un certain Belbeoc’h de Penfrat.
Le plan cadastral montre bien que ce n’est qu’un partage partiel, puisque de larges zones restent à l’écart.
116 lots ont été créés, certains de surface importante, mais la mise à prix fixée reste faible : 20 ou 50 francs.
La surface totale des 116 lots dépasse largement celle des 6 parcelles de départ et les noms donnés ne correspondent pas aux parcelles en indivision, comme si on en avait profité pour faire une sorte de remembrement des terres des deux villages. Il est probable que l’on va retrouver toutes les parcelles identifiées aujourd’hui sous les lettres BP, BV, BW et BX.
Le partage de la zone BX, réalisé avant 1830, en particulier les parcelles 1448, 1449 et 1450, frise l’absurde, quand on connaît le terrain.
Les parcelles 1448, 1449 et 1450 font 84m² chacune. Quelle idée a donc poussé les habitants à se battre pour 84m² de terre non cultivable ?
Aujourd’hui la zone BX est nettement moins divisée (même s’il y a eu de nouveaux découpages), ce qui n’est pas le cas des terrains voisins, en direction de Penaryeun ou de Lannilien.
Le partage des zones BV et BW s’est poursuivi.
L’éventail, qui se trouve dans la zone BP a même été divisé encore plus.
La photographie ci-dessous montre la zone côtière entre le Veryac’h et Kerloc’h : toute la bande rougeâtre est pratiquement à l’abandon, même si on distingue un reste de parcellaire