Version 5.4_ page 13-11_  décembre 2023

Pourquoi faire construire une maison à la cale de Quélern ?

On peut effectivement se poser deux questions : pourquoi construire ? et pourquoi à la cale ?

Pourquoi construire ?

Il faut reprendre la carrière d’Hervé Le Bihan. En 1926 il est passé Officier de 2ème classe. L’année suivante il achète la maison du 16 rue Yves Collet (chapitre 16).

En 1931 il passe officier de 1ère classe et sa solde fait un bond important (+30 % si l’évolution entre les grades suit toujours la grille de 1924 → page 34-31).

Pourquoi à la cale ?

Ici c’est plus difficile. Autrefois il n’y avait rien, que des champs avec un chemin orienté nord-sud et venant de Bel-air. Il existe encore sous le nom de chemin de Ber ar Grogn.

La cale du bourg offrait un tirant d’eau insuffisant et celui de la petite cale, qui desservait la Caserne Sourdis à Quélern, était encore moins important. Il fallait une nouvelle cale. Elle fut construite sur la pointe appelée Beg ar Grogn;.à peu près en même temps une route a été construite la reliant au fort de la Fraternité et aux autres fort de la côte. Puis il y a eu la construction d’une route sur le sillo qui séparait l’étang de Kervian de la mer et en dernier une route reliant directement Quélern à Roscanvel.

Les liaisons avec Brest étaient assurées par le Casoar d’Auguste Laé, puis par un vapeur. Jusque dans les années 60 il y avait encore deux rotations par jour. L’accès était donc facile.

Sur la photo ci-dessous la maison est située exactement au carrefour de la RD355 avec la route de la cale, à 100m seulement de la cale. L’élargissement de la RD355 n’a pas eu de conséquence, ce qui a provoqué des remarques désagréables des riverains, dont les terrains avaient été rabotés.

Cette situation, qui était idéale en 1931, ne l’est plus avec la circulation intense, que nous connaissons l’été et la vitesse excessive des véhicules, jusqu’à 90km/h pour une limite de 50! Par contre il y a toujours l’accès à la mer.

Les 3 parcelles achetées sont dans Penanero

Les 3 parcelles de terre, qui ont été achetées par Hervé et Célestine Le Bihan pour construire leur maison de vacances, portaient le nom de Penanero. Ces parcelles étaient rattachées au village de Kerincuff situé au dessus, entre Kervian et Lanvernazal.

Ce sont les parcelles numérotées 1066 et 1065P. Le reste de la parcelle1065 doit correspondre à la parcelle de M. Cordier.

Sur le plan cadastral de 1830 ce ne sont, que des champs avec le chemin orienté nord-sud ; le chemin de Beg ar Grogn existait déjà à cette époque; ce chemin longeait ensuite la côte pour rejoindre le cordon, qui barrait l’étang à marée basse et permettait, avec pas mal de difficultés quand même, de rejoindre Quélern et la poterne.


Le plan ne rend pas compte du fait, que l’on était à flanc de colline et, que les champs étaient en escalier, du moins les parcelles allant de 1061 à 1071. La parcelle 1066 fait 480 m² ; ce doit être celle, sur laquelle a été construite la maison ; La parcelle 1065p de 70 m² est devant la maison et la parcelle 1065p de 140m² est la partie basse du jardin. La construction de la route de la Fraternité a d’ailleurs écorné un certain nombre de parcelles sur son trajet.

La superficie totale de ces 3 parcelles est 690m² pour un montant cumulé de 5200 francs plus les frais. Cela fait un prix moyen de 7,5F/m², soit de l’ordre de 4,5€/m² en tenant compte de l’inflation ; il faudrait probablement mettre 10 fois plus aujourd’hui, compte tenu de l’emplacement, près de la mer et à proximité de la cale neuve de Quélern. Mais déjà fin 1929 ce prix est presque 10 fois plus élevé, que le prix d’une partie de Cardinal, également proche de la mer, qui a été vendue en 1929 510 francs seulement pour une superficie de 629m²!!

Des plans ont été conservés

Selon le plan, qui a été retrouvé, la maison est à un seul niveau avec un toit à 4 pentes ; l’existence de la cave ne figure pas sur ce plan. Ses dimensions : 10mx9m avec des murs de 50cm d’épaisseur. L’entrée se fait par devant avec un grand escalier en deux parties, descendant jusqu’au niveau de la route.

Le plan n’est pas signé. A-t-il été fait par Hervé Le Bihan, qui était passé maître dans l’art du dessin ?

Il n’y a pas de mansardes. Le trait bleu doit représenter l’amorce des modifications, qui seront faites en 1935.

Le dessin de la façade n’a cependant pas été respecté, du moins en ce qui concerne les fenêtres. Des fenêtres ont été rajoutées au niveau du toit mais il y a bien ce grand escalier en deux parties, qui permet de descendre au niveau de la route.

La distribution des pièces

A l’intérieur il y a 4 pièces principales plus un réduit de 5m² environ. Chaque pièce a sa cheminée. 3 des pièces ont un plancher en bois ; la dernière pièce, le couloir et le réduit sont carrelés.

Il faut noter la présence de grands placards ; il n’est pas certain,qu’ils aient été aménagés comme prévu même, s’il reste encore la trace des portes au milieu des panneaux ; les traits bleus matérialisent des modifications faites ultérieurement.

L’un des planchers en bois repose donc sur la terre, car la cave se limite à la moitié de la superficie en raison du dénivelé existant entre les différentes parcelles. Cela paraît néanmoins surprenant mais le plan initial n’a probablement pas été respecté non plus à l’intérieur.

Pour mémoire la cave devait servir initialement de logement pour un couple de gardiens. Le sol de la cave est toujours en terre battue.

Le dessinateur du plan a comptabilisé le volume de maçonnerie nécessaire, ainsi, que les surfaces des cloisons, des planchers et du toit. Il a noté également le lambris, qui ceinture les pièces.

On note dans les comptes, qu’un escalier intérieur a été installé.

En fait les grands parents se sont vite rendus compte, que la maison était trop petite. Elle a été modifiée en 1935 (page 15-21).

Le coût de la construction

Parmi les nombreux documents retrouvés à Brest il y avait un registre à double entrée avec d’un côté les dépenses engagées pour la maison de Brest et de l’autre, celles de la maison de la cale. La construction de la maison de la cale neuve, appelée par la suite Ker-Diskuiza, a débuté en 1930 (le 22 octobre exactement selon le registre, qui en a comptabilisé les dépenses).

Le registre, qui a été retrouvé, liste scrupuleusement les achats réalisés : l’achat des matériaux, leur transport par « les Vapeurs Brestois », la main d’œuvre….

Il n’y avait pas de maître d’œuvre attitré ni même de chef de chantier. C’était probablement le couple, qui se chargeait de tout.

Le prix des terrains

 

Surface en m²

Prix hors frais

Prix par m²

1066

480

2500 F

5,2 F/m²

1065p

70

700 F

10 F/m²

1065p

140

2000 F

14 F/m²

Il est difficile de comprendre l’écart de prix entre les trois terrains. Il ne faut pas oublier cependant, que la nouvelle route, qui a été construite pour aller directement à Roscanvel en passant par les deux digues, a changé la donne : les parcelles 1065p sont désormais au bord de la route, la parcelle 1066 donne sur la route seulement par son extrémité est.

La construction s’est achevée le 16 juin 1931. Il a fallu seulement 7 mois.

Le coût total se monte à 72145,80F en incluant les factures payées jusqu’en septembre

Le prix des matériaux et des prestations

La liste des dépenses est souvent très détaillée. Par exemple on y trouve le vin pour 39F par mois au début, ce qui paraît bas (l’équivalent de1€/jour?). De même 10F pour le mesurage (6€), ce qui est anormalement bas par rapport à ce, qu’il faut payer aujourd’hui.

Les matériaux utilisés sont des pierres avec de la terre glaise pour les assembler, du bois. Les dépenses des travaux de maçonnerie et de charpentage ne sont pas détaillées. Il faut noter l’utilisation de sable et de galets ; le sable de mer n’a certainement pas été lavé et contient donc du sel.

Un autre petit carnet permet cependant de suivre les dépenses mois après mois. Les sommes versées sont ventilées par intervenant. On voit en particulier, que la charpente a été faite par M. Laé. Il devait s’agir de Jean Laé, puisqu’ Auguste Laé avait déjà cédé l’ensemble de ses biens à son frère.

Les dépenses de 1930

Il y a d’abord le terrassement, puis l’approvisionnement des matériaux.

Les menuiseries sont achetées fin octobre

Tout est livré par les Vapeurs Brestois, qui accostent à 100m de la future maison, ce qui limite les frais.

Jusqu’à la fin de l’année ce sont surtout des travaux de maçonnerie. On monte les murs en utilisant exclusivement de la terre glaise. Le vin est indispensable.

Début 1931 il y a encore des fenêtres et deux (!) portes d’entrée. Il y a aussi les briques, qui vont séparer les pièces, sans oublier le vin. Les pierres d’encadrement des fenêtres sont livrées.

Les travaux se poursuivent de mi-janvier à mi-février 1931.

Les ardoises arrivent en mars 1931.

Ensuite viennent les portes, les planchers, le carrelage…

Le ciment a fait son apparition, probablement pour le crépi..

On arrive à la fin avec le crépissage des murs.

Le mémoire donne la liste des factures des fournisseurs, du moins ceux, qui n’ont pas été cités précédemment.

Les ouvriers sont tous des voisins ; on les trouve dans le petit carnet.

Il y a déjà des problèmes de toiture.

Comment la construction a-t-elle été financée ?

Pour financer les travaux le couple Le Bihan a contracté un emprunt, dont le montant semble être de 20000F. La durée de cet emprunt n’est pas indiquée ni le taux ; il y a par contre les frais de notaire : 252,50F et les intérêts : 875F. Le reste du financement a été apporté par les loyers de la maison de Brest. Il ne faut pas oublier, que la solde avait considérablement augmenté, lorsque Hervé Le Bihan a eu son 3ème galon.

Convertis en Euros cela fait seulement 37000€, sachant, que l’indice permettant de suivre l’inflation n’est pas universel. Certains produits ou services ont évolué plus vite ; d’autres moins.

Une construction similaire coûterait aujourd’hui de l’ordre de 80000€. L’évaluation est simple : une superficie totale de 600m² (murs, planchers, fenêtres, toiture…) pour un coût moyen unitaire de 130€/m², sachant, qu’il n’y avait pas d’eau courante, donc pas de salle d’eau ni de sanitaires et que l’électricité était distribuée de manière très sommaire : une ampoule par pièce (pas de prise de courant; on se servait de douilles voleuses installées souvent de manière permanente sur l’éclairage).