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En recherchant des réponses aux deux questions posées par Didier Cadiou il est apparu que la bataille de Camaret avait donné lieu à une très abondante littérature, probablement plus importante en langue anglaise, du moins pendant les deux premiers siècles, qui ont suivi. Il suffit de taper « Brest 1694 expedition ». Plusieurs de ces publications ont d’ailleurs été traduites en français.

 Si les traces de la bataille, à part la tour dorée de Camaret, disparaissent peu à peu, notamment du fait de l’érosion marine, il reste heureusement la lecture de ces nombreux documents, en particulier ceux, qui ont été mis en ligne sur le net.

 Toutefois leur lecture  amène à faire quelques remarques concernant la bataille, son origine et la relation, qui en a été faite par les chroniqueurs et les historiens.

 Chacun ayant rajouté sa perception de l’affaire, avec une tendance toute naturelle à exagérer la force de l’adversaire pour augmenter la dimension de l’exploit, ou diminuer celle de la défaite, selon le côté d’où l’on est.

Il y a donc des dérives. Comme il est hors de question de faire un travail d’historien, je me borne à ces quelques remarques, alimentées par ce qui est disponible sur internet, complété par l’exposition de la pointe des Espagnols.

 Il est possible que certains des sujets abordés ci-dessous aient déjà fait l’objet d’études approfondies, mais je n’ai pas tout lu.

 Sur le net il y a peu de récits de participants directs et je n’ai pas pris non plus le temps d’aller vérifier dans les archives en ligne, ce qu’ils ont relaté

 Si Vauban résume bien l’affaire : « bien pensé, mal exécuté », il est par contre féroce vis-à-vis des miliciens, « demi-nus » ; sans eux il n’aurait pas pu célébrer de victoire, mais il ne faut pas oublier que la bataille a eu lieu peu après le révolte des bonnets rouges.

De plus, étant resté sur la batterie du Mingant, il est arrivé après la bataille et n’a donc rien vu.

 La flotte anglo-hollandaise

 On était en plein dans la guerre appelée guerre de la « ligue d’Augsbourg » (1688-1697), que les  anglais appellent la guerre de 9 ans. Louis XIV était seul contre tous.

 Les anglais, aidés par les hollandais, préparaient une énorme flotte pour  affronter celle de Tourville, qui bloquait l’Espagne.

Elle quitte Plymouth le 9 juin (attention les anglais en étaient encore au calendrier julien = (old style, mais certains de leurs documents portent également la nouvelle date = new style, qui correspond à un décalage de 10 jours).

 Louis XIV en a été informé par ses espions ou plus probablement par les anglais eux-mêmes via des espions multicartes.

La flotte anglaise se coupe en deux et une partie se dirige vers Brest. Elle compte 36 vaisseaux de haut bord et de nombreux autres bateaux. Il y a entre 10000 et 12000 soldats à bord.

 Avant la bataille

 La flotte française étant partie en Espagne, il ne restait à Brest, que des bateaux en construction, qui ont été coulés dans l’arrière port, dès l’annonce de l’arrivée de l’ennemi. Il n’y avait plus de troupes non plus. Les projets développés par Vauban étaient en cours de réalisation, mais loin d’être terminés; comme d’habitude l’argent manquait.

 R. Chapelot dans un imposant ouvrage de 1056 pages, publié en 1900, donne accès, entre autres, à toute la correspondance échangée par Vauban avec ses supérieurs avant la bataille du 18 juin 1694.

 L’ouvrage est accessible sur le net (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1236193) à condition  de retrouver les bonnes pages : 83-103, 133-150, 209-237, 289-306. J’en ai probablement laissé filer.

Le problème principal réside dans le fait, qu’il faut ouvrir les pages une à une et qu’il y a un décalage entre la numérotation des pages de l’ouvrage et celles de GALLICA.

 Il ressort de ces pages, que Vauban a eu des peines inouïes à récupérer des canons et des soldats pour défendre la côte. Le jour même de la bataille il manquait encore beaucoup de monde et les soldats présents n’avaient pas l’équipement nécessaire. Il n’y avait pas non plus d’argent pour les nourrir, encore moins les payer.

 Les nobles, qui devaient aussi être présents, étaient eux-mêmes totalement démunis et les milices n’avaient aucun entraînement.

 Par contre il est intéressant d’apprendre que ces milices venaient parfois d’assez loin. Ce n’était pas seulement des paysans du coin et Vauban est très sévère à leur encontre.

 Donc tout le monde croisait les doigts.

 Le plan de bataille

 Le plan de bataille des anglo-hollandais correspond à ce que Vauban avait prévu. Il a été reproduit en 1744 par Tindal :

Le gros de la flotte reste au large à l’abri des mortiers. Une première ligne se dirige vers Camaret, puis, plus tard,  une seconde ligne, disons de chaloupes de débarquement, se dirige vers la plage en longeant la côte à partir des capucins.

 Vauban a dessiné également un croquis de la bataille, qui est reproduit dans l’ouvrage de M. Chapelot ; malheureusement il est difficile de situer certains des endroits cités dans la légende.

On note seulement qu’il n’y a que 3 canons en tout pour défendre la plage, dont deux au niveau de la plateforme et un à la pointe Ste Barbe (ou l’inverse). Les autres sont dans la tour dorée (fort de Camaret), aux 4 vents et vers la pointe du Gouin.

 Le récit de M. de Saint Pierre, l’un des aides de camp de Vauban, est probablement le plus exact. (voir l’ouvrage de M. Chapelot à partir de la page 228).

 Monsieur de Pointel écrit au roi le 18 juin et c’est un récit, qui semble également assez proche de la réalité. Il est dans le même ouvrage.

Le bouc émissaire   

 Les anglais ont cherché très vite un bouc émissaire. Ils en ont trouvé trois : trahison, défaillance du renseignement  et mauvaise organisation du débarquement. Puis, plus récemment, est apparue la théorie du complot.

 La trahison de Malborough

Les chroniqueurs ont commencé par accuser John Churchill, duc de Malborough, d’avoir informé les français de l’imminence de l’attaque. Ses relations ambigües avec Jacques II, puis avec son successeur Guillaume III et aussi avec la reine Anne ont alimenté le feu. On a sorti une lettre, qu’il aurait envoyée à Jacques II, alors réfugié à la cour de France. Winston Churchill a essayé de montrer que c’était un faux, destiné uniquement à nuire à son ancêtre, tout en reconnaissant le caractère particulier de ce dernier.

 La défaillance du renseignement

Les anglais ont été surpris par l’ampleur de la riposte et en ont déduit que les forces françaises étaient bien supérieures à ce qu’ils avaient estimé.

Pourtant un officier anglais avait réussi à passer le goulet et faire un tour dans la rade de Brest sans être découvert.

On sait, d’après les lettres de Vauban, que le nombre et la qualité des défenseurs étaient très médiocres mais ils devaient être bien dissimulés.

L’affaire a été mal exécutée

Les anglo-hollandais avaient deux possibilités : au nord la page du Trez Hir, longue d’un kilomètre environ, peu défendue (mis à part le château de Berthaume et quelques retranchements), et la plage de Trez Rouz, plus réduite (environ 300m), mais permettant d’occuper rapidement la presqu’ile de Roscanvel et d’interdire l’accès à la rade de Brest.

Ils se sont souvenus de la bataille féroce, qu’ils avaient livrée un siècle plus tôt contre une poignée d’espagnols, à la pointe de la presqu’île de Roscanvel, devenue depuis la pointe des espagnols. Ils ont décidé, qu’il valait mieux bloquer Brest, plutôt que de l’attaquer de front et opté pour cette seconde solution.

Ici de nombreux chroniqueurs anglais rejoignent Vauban et M. de Saint Pierre : l’attaque a été désordonnée.

Quelle idée aussi d’attaquer de front la tour dorée sans avoir la possibilité de manœuvrer (le vent ayant changé, 7 bâtiments se sont brisés sur les rochers de la pointe Sainte Barbe) ou de vouloir débarquer à la marée descendante des centaines de soldats sur une plage de 300m de large seulement, flanquée de batteries de mortiers et dont le fond est un retranchement garni de soldats en grand nombre, même mal équipés.

Certains bâtiments ont d’ailleurs refusé d’intervenir.

Curieusement le gros de la flotte est resté à l’ancre. Avec leur puissance de feu les vaisseaux de haut rang auraient pu nettoyer toute la baie, car, une fois passée la barrière des mortiers, d’ailleurs peu efficace, il ne restait que 3 canons pour protéger la plage de Trez Rouz.

Une manœuvre de diversion

En fait, une fois passée l’émotion première, certains chroniqueurs penchent pour une manœuvre de diversion. Les anglais savaient que Brest était dégarni et en attaquant le port, ils voulaient contraindre Louis XIV à modifier ses plans, notamment vis-à-vis de l’Espagne. Ce serait donc avec l’aval de Guillaume III, que des informations auraient été transmises à Louis XIV. Mais Louis XIV n’a pas allégé les forces présentes en Espagne pour venir au secours de Brest.

 Enfin le complot

Talmash a-t-il été sacrifié ? C’est probable, à la lecture de certains comptes rendus de la bataille. Alors que ses collègues voulaient abandonner la partie, il a poursuivi le débarquement (il y va de l’honneur de l’Angleterre…). En fait les anglais ont sacrifié un pion

La batterie des fillettes

 Dans les comptes rendus anglais on voit apparaître le nom de « batterie des fillettes ». Or ce nom n’apparaît pas sur les cartes françaises. S’agissait-il de la batterie de mortiers placée vers les capucins, car le plateau des fillettes est juste en face ?

Le projet de Vauban de 1693 prévoyait de boucler l’entrée du goulet en mettant justement une batterie aux capucins, faisant face à celle du Minou.

Elle figure bien sur le croquis, qu’il a réalisé après la bataille et qui est reproduit ci-dessous.

 

Les portées des mortiers, qui sont données sur la carte, paraissent exagérées.

 Mais finalement  il reste surtout une légende

 Le nom de Trez rouz désormais appliqué à toute la zone : plage, anse, camping, village…

 En 1694 et en 1754 on parlait d’anse du Tremet, puis ce fut l’anse du Pouldu  à partir de 1782 et, au moins, jusqu’à la première guerre mondiale. Ensuite c’est devenu Trez Rouz, par référence à la bataille de 1694, plutôt qu’à la nature des terres, même si après la dernière tempête, c’est le haut de la plage qui est rouge. Pourtant le nom de très rouz figure déjà sur la carte de 1693, dessinée un an avant la bataille (sauf si la carte a été antidatée).

La quasi-totalité des noms de parcelles sont en breton. Les quelques noms en Français correspondent à des modifications récentes, comme on a la vieille batterie à la Pointe des Espagnols, qui date du début du 17ème. A Camaret la pointe appelée Lamsoz n’avait pas d’équivalent en Français; le nom vient de la déroute des anglais en 1387. L’utilisation du Français dans les noms de lieu ou de parcelle commence très probablement au 16ème siècle.

 

Et pourtant…

 La tour dorée de Camaret est enfin restaurée. Dans la salle d’exposition  annexe, il y a plusieurs exemplaires d’une carte datée de 1693, donc d’avant la bataille. Sur cette carte figurent en rouge les dispositifs, qui sont déjà en place.

 

On y voit très bien les batteries de Cornouaille et du Léon (Mingant), celle du château de Berthaume et celle du grand Minou, avec le moulin de Toulbroch, puis la tour dorée, qui n’est pas encore terminée. Il y a aussi les retranchements en arrière des deux plages, sur lesquelles des débarquements sont possibles. Curieusement on voit apparaître le nom de Trez Rouz. Figurait-il déjà sur la carte lors de sa réalisation en 1693 ou a-t-il été rajouté après la bataille ?

La pointe des capucins est alors appelée pointe de Camaret, le moulin de Quélern est appelé moulin de Camaret. La pointe du Gouin est appelée pointe du couvent (ou convent), nom, que l’on retrouve aussi sur les cartes anglaises.

 Au fait, on ne voit nulle part le nom de Quélern.

 Il y avait bien un quai d’accostage à Cornouaille

 Vauban était au fort du Mingant en face de Cornouaille. Ce fort abrite une  petite grève, où il était possible d’aménager un port. Mais en face il n’ avait rien apparemment.

Erreur! Il y avait bien un quai d’accostage à Cornouaille; après 3 siècles de tempêtes et les bombardements de la dernière guerre il ne reste plus que les massifs d’enrochement de chaque côté.

Il en reste un peu plus du côté du fort.

 C’est  ici, qu’accosta Vauban après la bataille.

Ils se retrouvèrent tous au manoir de Quélern pour fêter la victoire.

C’est peut être d’ailleurs à cette occasion, que le nom de Quélern a supplanté Trémet car il n’a pas été question jusque là. Cela me fait penser à l’anecdote, que l’on racontait autrefois.

 M. de Penfeuntenyo avait été présenté au roi, qui n’avait pas retenu son nom; la fois suivante il s’est fait annoncer en traduisant son nom en français : Cheffontaines, Le nom est resté et la famille utilise maintenant les deux.

C’est un peu le même cas chez Emmanuel Legentil de Quélern car les documents de la chancellerie de la Légion d’Honneur utilisent uniquement la version bretonne : Kerlern.